Se chauffer par le Léman

Ce lac, quelle énergie!

(Source: Site internet du journal "24 heures" du 16.1.2015)

Ressource locale Le Léman, comme le Rhône, est de plus en plus exploité pour le chauffage et la climatisation.

 Image: I. Caudullo / Texte: A. Grosjean / Source: SIG

Par Antoine Grosjean  Mis à jour à 08h00  16.01.2015

Se chauffer avec le Léman

Les villes du bord du Léman ont une manne énergétique qui s’écoule en permanence à leurs pieds. C’est une ressource locale, abondante, propre et renouvelable, et qui plus est disponible en toute saison et quelles que soient les conditions météorologiques. Des avantages indéniables en ces temps de transition énergétique. Cette manne, c’est l’eau du lac Léman et, pour Genève, celle du Rhône, qui peut servir aussi bien pour se chauffer en hiver que pour la climatisation en été.

La technique n’est pas vraiment nouvelle. Par exemple, l’EPFL s’en sert depuis 1985 pour chauffer son site d’Ecublens. Depuis 2004, la ville de Toronto, au Canada, climatise tout son centre-ville avec l’eau du lac Ontario. A Genève, on exploite depuis 2009 le Léman pour chauffer ou refroidir de nombreux bâtiments dans le périmètre de l’ONU et des organisations internationales, ainsi qu’à Versoix. Et cette technique va continuer à se développer ces prochaines années dans le canton.

 

Un principe simple

Comment cela fonctionne-t-il? A partir d’une certaine profondeur, la température de l’eau du lac est stable toute l’année. Si on la pompe à plus de 40 mètres de fond, elle oscille entre 5 et 10 degrés. Pour rafraîchir des bâtiments, il suffit de la faire circuler dans un échangeur thermique connecté à un réseau alimentant les climatiseurs. A la fin du processus, l’eau est rejetée dans le fleuve ou le lac. Cela permet de se passer des gaz frigorigènes, qui contribuent à l’effet de serre. De plus, cela consomme cinq fois moins d’électricité que les systèmes de climatisation classiques.

Pour le chauffage, le principe est le même, sauf qu’au lieu de transiter par un échangeur thermique, l’eau du lac passe par une pompe à chaleur qui augmente sa température au niveau nécessaire pour les radiateurs. Cela exige davantage d’électricité que pour produire du froid, mais ça reste nettement moins gourmand et plus propre (jusqu’à 90% de CO2 en moins) que de se chauffer aux énergies fossiles, surtout si l’électricité utilisée est d’origine renouvelable. Le Rhône est aussi exploitable, même si la température de son eau varie plus que celle du lac et offre donc un potentiel un peu moins grand.

Dans le futur quartier des Vergers, à Meyrin, on va avoir recours à une autre technique. L’eau captée dans les puits de Peney (alimentés par la nappe d’accompagnement du Rhône) ira refroidir les machines de la zone industrielle Zimeysa. Ainsi chauffée, elle alimentera le réseau de chauffage à distance du quartier puis transitera par le futur lac des Vernes avant de retourner au Rhône.

Protéger l’environnement

L’inconvénient avec ces divers systèmes, c’est que l’eau rejetée est plus chaude que celle du milieu ambiant, et cela peut avoir un impact sur la faune et la flore aquatiques. Mais l’ordonnance fédérale sur la protection des eaux fixe des limites. Ce sont les mêmes que pour les stations d’épuration ou l’usine d’incinération des Cheneviers. «L’eau rejetée ne doit pas être plus chaude que 30 degrés, elle ne doit pas réchauffer le milieu de plus de 1,5 degré, et cela ne doit pas porter l’eau du lac ou du fleuve à plus de 25 degrés», explique François Pasquini, directeur du Service genevois d’écologie de l’eau. Des études ont montré que les rejets se diluent rapidement et que la température du milieu ambiant n’est pas durablement impactée.

«Il y a aussi une contrainte sur la qualité de l’eau rejetée, précise François Pasquini. Comme certains de ces systèmes utilisent du chlore pour éviter la prolifération des moules dans les canalisations, la concentration admise de chlore dans l’eau rejetée est limitée.»

Investissements lourds

Si la ressource – le lac – est a priori inépuisable, le poids de l’infrastructure restreint toutefois le potentiel de cette technique. Car il faut construire un réseau de canalisations pour acheminer l’eau dans tous les bâtiments, ce qui nécessite de lourds travaux. Idéalement, ceux-ci sont planifiés lors de la construction d’un nouveau quartier, même si ça n’est pas toujours le cas. On ne pourra pas chauffer tout le canton ainsi.

Cela induit donc de gros investissements. «Ces infrastructures seront amorties en vingt ou vingt-cinq ans, estime Jérôme Faessler, chargé d’enseignement à l’Institut Forel de l’Université de Genève et auteur d’une étude sur le sujet. En raison de l’investissement important, cette technique doit se faire sa place dans un marché extrêmement concurrentiel, celui du chauffage et de la climatisation, qui est totalement libéralisé, contrairement à celui de l’électricité actuellement. D’autant que Genève-Lac-Nations ou Génilac ne sont pas des systèmes dédiés, où l’exploitant et le consommateur sont une seule et même entité, comme à l’EPFL. Les Services industriels de Genève (SIG) ont dû faire de la prospection commerciale pour vendre cette énergie avec des contrats longue durée.»

Le directeur général des SIG, Christian Brunier, confirme qu’il faut avoir les épaules solides pour réaliser de telles installations: «Pour l’instant, les activités thermiques des SIG sont déficitaires, mais c’est normal. C’était aussi le cas à l’époque pour l’électricité et le gaz, quand ces réseaux ont été construits. Mais d’ici quinze à vingt ans, l’énergie thermique sera un de nos leviers économiques.» Dans ce domaine, Genève dépend encore très largement des énergies fossiles et de l’étranger. «Si nous voulons atteindre les objectifs politiques, il faut un programme thermique ambitieux basé sur les énergies renouvelables et locales.»

Reste une question: pourquoi cette manne énergétique qui se trouvait juste sous nos yeux a tant tardé à être exploitée? «En effet, elle était disponible et représentait peu de risques techniquement, concède Rémy Beck, directeur scientifique à l’Office cantonal de l’énergie. Cela avait un peu échappé à notre regard. Mais la technique devient de plus en plus intéressante à mesure que l’efficacité énergétique des bâtiments s’améliore.» (24 heures)

(Créé: 16.01.2015, 10h04)

 

Des réalisations et des projets à foison

Depuis 2009, Genève exploite l’eau du lac pour produire du chauffage et de la climatisation. Cette année-là est réalisé le réseau Genève-Lac-Nations. Très vaste, il rafraîchit en été l’ONU, la plupart des organisations internationales du secteur, l’Hôtel Intercontinental, le collège Sismondi et le bâtiment de Serono. Une partie de ces immeubles est également chauffée. Cela représente 6 km de conduites et 840 000 m2 de surface raccordée. Chaque année, 20 gigawattheures de froid sont produits, et la puissance de chauffage est de 10 GWh (pas encore totalement exploités). C’est aussi en 2009 que Versoix se dote de ce système pour chauffer et refroidir l’ancien bâtiment de la papeterie. Dès 2011, l’installation est étendue à plusieurs bâtiments du centre. La production annuelle est de 2 GWh de chaleur et 1 GWh de froid. Le bâtiment de la banque HSBC au quai des Bergues utilise aussi cette technologie en puisant l’eau du Rhône. Les Services industriels de Genève (SIG), qui exploitent le réseau Genève-Lac-Nations, planchent sur un projet encore plus ambitieux, Génilac. Celui-ci chauffera et rafraîchira des habitations et entreprises du centre-ville, notamment autour de la rade, et pourrait à terme aller jusqu’à la zone de l’aéroport et de Balexert. Objectif: produire 200 GWh de froid et 100 GWh de chaleur à l’horizon 2020, et réduire ainsi les émissions de CO2 de 25%. A plus long terme, les Communaux d’Ambilly, voire le projet Praille-Acacias-Vernets (PAV) pourraient aussi bénéficier de cette technique. Un autre projet a été lancé en partenariat entre la Ville de Genève et les SIG à la Jonction, Cadéco. En utilisant l’eau du Rhône, il s’agira de chauffer les 530 logements de Cité Jonction, le futur écoquartier Carré Vert, ainsi que certains immeubles des rues Michel-Simon et Sainte-Clotilde ou du quai du Seujet. Une extension au bâtiment administratif du 25 rue du Stand, à l’Usine et au Palladium est à l’étude. Production visée à l’horizon 2017: 41 GWh par an, soit les besoins de 7000 habitants. Les émissions de CO2 baisseront de 90%. Un crédit pour les raccordements a été demandé au Conseil municipal. Enfin, trente immeubles de logements du futur quartier des Vergers, à Meyrin, ainsi que des équipements publics, seront chauffés d’ici à 2016-2018 grâce au Rhône et à la zone industrielle (lire ci-contre). Les travaux sont en cours.